Entre 2010 et 2021, la France a construit plus vite que sa population n’a grandi. Pourtant, la crise du logement n’a jamais été aussi aiguë. Derrière ce paradoxe, l’Atlas du logement présenté par Icade et OPConseil avec le soutien de l’ancienne Ministre du Logement Valérie Létard, met en lumière une réalité désormais incontournable : la fragmentation territoriale du parc résidentiel français, tiraillé entre métropoles saturées, littoraux sous tension et territoires en décrochage.
Un parc de logements en forte croissance mais mal réparti
Sur la dernière décennie observée, le parc de logements français s’est enrichi de 3,8 millions d’unités, soit une progression de 11,5 %, quand la population n’augmentait que de 4,3 %. À première vue, l’équation semble favorable. En réalité, cette croissance masque de profonds déséquilibres territoriaux.
Les métropoles, leurs couronnes périurbaines, les littoraux et les grands axes de développement concentrent l’essentiel des nouvelles constructions. À l’inverse, une partie de la France rurale et intermédiaire, notamment la diagonale dite du « Y du vide » voit son parc stagner, voire se contracter. Le logement devient ainsi le révélateur d’une géographie économique et démographique profondément différenciée.
Comme le résume Olivier Portier, analyste territorial chez OPC, « la géographie du logement révèle une France plurielle, traversée par des rythmes, des contraintes et des opportunités profondément différenciés ». Un constat central pour comprendre la crise actuelle.
Résidences principales, secondaires : la montée des tensions touristiques
Les résidences principales représentent encore 83,4 % du parc, mais leur progression est inégale. Elles se concentrent dans les zones urbaines dynamiques, tandis que les territoires touristiques voient progresser un autre phénomène, celui des résidences secondaires.
Celles-ci représentent désormais 9,7 % du parc national, avec une croissance de 15,4 % entre 2010 et 2021, nettement plus rapide que celle des résidences principales. Dans les zones littorales, de montagne ou insulaires, la part des résidences secondaires dépasse parfois 30 %, contribuant à raréfier l’offre pour les habitants permanents et à alimenter les tensions foncières.
La diffusion massive des plateformes de location de courte durée a accéléré ce mouvement, y compris dans certaines grandes villes, où des logements ont basculé du statut de résidence principale à celui de logement touristique.
Maisons individuelles : un modèle dominant mais fragilisé
Avec 55 % du parc total, la maison individuelle reste la forme d’habitat majoritaire en France, en dehors des grandes métropoles. Héritage du développement pavillonnaire de l’après-guerre, ce modèle correspond encore aux aspirations des ménages. Pourtant, il concentre aujourd’hui plusieurs fragilités.
Une large part de ces logements est ancienne. Près de 40 % des résidences principales ont plus de 50 ans, et 11,6 % datent d’avant 1919. Leur performance énergétique est souvent médiocre, leur adaptation au vieillissement limitée et leurs coûts d’entretien en hausse. La rénovation énergétique devient ainsi un enjeu structurant, à la fois social, économique et climatique.
Accès au logement : des inégalités territoriales qui s’accentuent
La baisse historique des taux d’intérêt entre 2010 et 2021 a soutenu l’activité immobilière, avec une hausse marquée des transactions. Mais cette dynamique a profité de manière très inégale aux territoires.
Les grandes métropoles restent sous tension, avec des prix élevés et une mobilité résidentielle réduite. À l’inverse, certaines villes moyennes et zones rurales attractives ont vu leur marché se redynamiser, portées par la recherche d’espace, de qualité de vie et par l’essor du télétravail.
Les écarts de prix sont spectaculaires. Dans certaines intercommunalités touristiques ou frontalières, les prix moyens dépassent largement ceux observés dans les bassins de vie en déclin démographique, où le logement reste abordable mais souvent inadapté à la demande actuelle.
Valérie Létard, députée de la 21e circonscription du Nord affirme que « La France fait face à une crise du logement d’une ampleur inédite. Les chiffres parlent, et derrière eux ce sont les parcours résidentiels et les trajectoires de vie de nos concitoyens qui sont directement impactés. Cette crise sociale est aussi une crise économique qui déstabilise l’ensemble de la filière. »
Vacance et pénurie : le grand paradoxe français
En 2021, 8,1 % des logements étaient vacants en France. Un chiffre qui augmente encore, avec une progression de 6,5 % depuis 2015. Mais là encore, la moyenne nationale cache des réalités opposées.
Dans les territoires en déclin, la vacance est structurelle avec des logements anciens, dégradés, mal situés, parfois énergivores, qui ne trouvent plus preneur. À l’inverse, dans les zones tendues, la pénurie s’aggrave, alimentant la hausse des loyers et des prix. Vacance et pénurie coexistent ainsi sur un même territoire national, révélant l’inadaptation du parc aux besoins réels.
Vieillissement, climat : le logement face aux chocs à venir
Le vieillissement démographique constitue un autre défi majeur. Un Français sur cinq a désormais plus de 65 ans, avec une concentration marquée dans certains territoires ruraux mais aussi dans des zones attractives. Adapter le parc existant devient indispensable : accessibilité, confort thermique, lutte contre la précarité énergétique.
Parallèlement, les risques climatiques pèsent de plus en plus sur l’immobilier résidentiel. Inondations, sécheresses, canicules et mouvements de terrain touchent prioritairement les littoraux, les vallées fluviales et certaines grandes agglomérations. À terme, certaines zones pourraient perdre en attractivité, voire en assurabilité.
Penser le logement à l’échelle des territoires
Pour Nicolas Joly, directeur général d’Icade, l’enjeu est clair : « outiller et accompagner les élus locaux pour répondre aux attentes spécifiques de leurs habitants ». L’Atlas du logement défend une conviction forte : il n’existe pas une crise du logement, mais une multitude de crises territoriales, qui appellent des réponses différenciées et locales
À l’heure où la France s’interroge sur son modèle d’aménagement, le logement apparaît plus que jamais comme le miroir de ses fractures… et le levier central de leur dépassement.




